Titulaire d’un Doctorat en sciences économiques, Elie Justin Ouédraogo est un expert burkinabè dans le domaine des mines. Auteur de plusieurs publications dont Investissement minier et problématique de l’industrialisation en Afrique de l’Ouest (novembre 1982), il a occupé plusieurs fonctions. Entre autres, ministre de l’Energie et des Mines, Directeur exécutif du Centre d’analyse des politiques économiques et sociales (CAPES), Administrateur général de la Société d’exploration minière d’Afrique de l’Ouest (SEMAFO). Depuis juin 2012, il est le président du Conseil d’Administration (PCA) de SEMAFO Burkina Faso. Elie Justin Ouédraogo, par ailleurs Président de la Chambre des mines du Burkina, aborde dans cette grande interview accordée à Sidwaya, les questions politiques de l’heure, la chefferie coutumière mais surtout l’actualité minière.
Sidwaya (S.) : Quelle lecture faites-vous des élections couplées, législatives et municipales du 2 décembre ?
Elie Justin Ouédraogo (E.J.O.) : Il est bon que ces élections aient été placées sous le signe de la maturité et de l’approfondissement du processus démocratique. C’est à l’honneur de la classe politique en particulier et des Burkinabè en général qu’elles se soient passées dans la paix et la cohésion. Toutes les institutions mises en place pour gérer ce processus ont joué à fond leur rôle de manière à ce que les résultats soient le moins contestables possibles. A l’issue des scrutins, les partis qui ont estimé qu’ils ont été lésés d’une manière ou d’une autre ont eu la sagesse de recourir aux juridictions compétentes (Conseil constitutionnel ou tribunal administratif) plutôt qu’à toute autre voie. Cela témoigne aussi à la fois d’une maturité et d’une vitalité de notre Etat de droit. C’est la démocratie burkinabè qui a gagné avec la façon dont ces élections couplées se sont déroulées. Ces élections traduisent une consolidation de la démocratie. Cela va faire un quart de siècle que le pouvoir au Burkina Faso ne se prend plus par des crépitements d’armes. De manière continue, on a un renouvellement du parlement et des conseils municipaux par des élections. On constate qu’il y a des acquis et une avancée surtout avec la biométrie qui est mise en place. Au sortir de ces élections, c’est l’approfondissement de notre processus démocratique qui est à saluer. Le pays en est sorti grandi. Cela doit servir de ciment pour la paix et la cohésion sociale dont le pays a tant besoin. Ce sont des valeurs vraiment indispensables à tout processus de développement.
S. : Croyez-vous que l’introduction de la biométrie a été un gage de transparence ?
E.J.O. : L’adoption de la biométrie est incontestablement une avancée qualitative dans l’approfondissement de la démocratie, du fait qu’il y a une tendance à améliorer qualitativement tout le processus électoral et surtout, faire en sorte qu’il n’y ait pas de contestations après les élections. De ce point de vue, il faut saluer cette avancée comme étant quelque chose de très positif.
S : Au niveau de l’enrôlement, on a constaté que les résultats étaient mitigés, est-ce qu’il y a des acteurs selon vous, qui n’ont pas joué leur rôle ?
E.J.O. : Il faut reconnaître que c’est quand même le premier exercice dans ce domaine. A l’avenir, il va s’améliorer à coup sûr car des leçons vont être tirées. Pour un coup d’essai, il y a des motifs de satisfaction. Il faut saluer les avancées, les acquis, en prenant les dispositions pour améliorer ce qu’on a constaté comme insuffisances.
S : Dans votre ville d’origine qui est Gourcy, la Commission électorale communale indépendante a invalidé les listes du CDP pour les municipales avant que le tribunal administratif ne revienne sur cette décision en permettant à une seule liste d’être en lice. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?
E.J.O. : C’est dommage que ce genre de situations arrivent parce qu’à Gourcy comme partout au Burkina Faso, le CDP joue un rôle important et participe activement à l’animation de la vie politique. Un recours judiciaire a été engagé et le dossier s’est trouvé au niveau du Tribunal administratif. La décision de justice a été respectée par toutes les parties prenantes. C’est cela l’essentiel.
S : Vous êtes un chef coutumier, comment avez-vous accueilli le projet de révision de la Constitution ouvrant en même temps, l’institutionnalisation de la chefferie traditionnelle ?
E.J.O. : Comme tous les chefs coutumiers du Burkina Faso, nous l’avons accueilli avec beaucoup de satisfaction en nous disant qu’il était temps que la chefferie traditionnelle, qui fait partie intégrante de notre histoire et de notre culture, soit reconnue et institutionnalisée. Notre parcours historique fait état de confrontation souvent ouverte entre les structures de l’Etat moderne et la chefferie traditionnelle. Il est heureux qu’on puisse entrer dans une dynamique de complémentarité où on reconnait un rôle spécifique à la chefferie coutumière et que ce rôle soit consigné dans des dispositions législatives et constitutionnelles. Cela participera du renforcement de la démocratie et pourrait aider les chefs coutumiers à mieux s’assumer dans leur rôle.
S : Parlant d’affaires, quel est votre point de vue sur le climat des affaires dans notre pays ?
E.J.O. : En tant que Président de la Chambre des Mines sur ce point et en me référant à l’appréciation des investisseurs, je suis très bien placé pour savoir et affirmer que le climat des affaires au Burkina est positivement apprécié. En Afrique, le Burkina Faso est aujourd’hui la première destination des investissements privés directs dans les mines. Cela est très important, car il ne s’agit pas d’aide publique au développement, il s’agit d’investissements privés directs. C’est-à-dire que ce sont des hommes d’affaires qui estiment que tel pays présente des conditions et a un climat d’affaires suffisamment positif pour qu’ils viennent y investir. De plus, avec le rapport Doing Business de la Banque mondiale, le Burkina Faso est bien classé, considéré comme meilleur pays réformateur de l’UEMOA. Cela est reconnu par les autres pays de la sous-région. Ce sont des efforts qui sont consentis par le gouvernement et qui sont salués par les investisseurs et par la communauté internationale des bailleurs de fonds.
S : Le moins qu’on puisse dire est que l’activité minière est en plein essor au Burkina avec l’ouverture de plusieurs mines. Le Burkina Faso est-il devenu un pays minier ?
E.J.O. : Il faut saluer les résultats de la politique menée depuis un certain temps pour attirer les investisseurs miniers. Il faut aussi se féliciter du fait qu’au Burkina Faso, cela s’est traduit par des constructions de mines. Quand on regarde classiquement le développement du secteur minier dans un pays, cela prend beaucoup plus de temps. Notre pays constitue de ce point de vue une exception : au cours des cinq dernières années, il a enregistré l’ouverture de six à sept mines. C’est un record qu’il faut saluer. Ce qui fait que l’or est depuis 2009 le premier produit d’exportation de notre pays. Mais ceci étant, ce n’est pas encore suffisant pour qu’on dise que le Burkina Faso est pleinement un pays minier. Nous sommes en très bonne voie. En plus de ces mines déjà en production, il y a cinq à six projets qui sont arrivés à maturité et qui vont également entrer en production bientôt. Avec la mise en place de certaines structures comme les guichets uniques, l’amélioration de la législation et de la règlementation minière, le renforcement institutionnel du Ministère chargé des Mines et de la Chambre des Mines, on pourra en ce moment, dire que le Burkina Faso est véritablement un pays minier.
S : Malgré cette bonne voie, une bonne partie de l’opinion pense que les mines ne contribuent pas suffisamment au développement, notamment les populations locales, comment vous réagissez à ces propos ?
E.J.O. : Il est vrai que nous sommes confrontés à ce problème qui est récurrent, mais j’ai plutôt l’impression que cela résulte de la gestion des attentes. Il y a peut-être beaucoup trop d’attentes vis-à-vis du secteur minier et des mines. Mais comme on le dit : « La plus belle fille au monde ne peut donner que ce qu’elle a ». Il y a des attentes de l’Etat et des populations locales qui font que nous sommes effectivement en discussion avec nos autorités de tutelle (Ministère des Mines, le Ministère de l’Economie et des Finances, etc.) pour justement essayer de voir comment on peut véritablement recadrer les choses. La création de la Chambre des Mines a aussi pour objectif de promouvoir réellement le développement du secteur minier. Et promouvoir ce secteur, c’est répondre à ces questionnements, comment changer l’image des mines, comment s’assurer qu’effectivement les mines apportent la contribution qui est attendue au développement économique et social, du pays et en priorité des populations riveraines qui ont des préoccupations tout à fait légitimes. Les gisements se trouvent par bonheur dans leur région, dans leur village et ils entendent participer et profiter au maximum de leur mise en valeur.
S : La transparence est très recommandée dans le secteur minier. Où en est-on avec l’ITIE ?
E.J.O. : C’est tout un processus. Il faut saluer l’adhésion du gouvernement burkinabè à ce processus qui oblige dans un premier temps les sociétés minières à déclarer leurs contributions au budget de l’Etat. Jusqu’à une certaine date, ce n’était peut-être pas évident mais avec le processus de l’ITIE, toutes les sociétés minières ont l’obligation de déclarer leurs contributions à l’Etat. Qu’est-ce qu’on paye comme impôt direct ? Cela a permis de savoir que pratiquement de zéro franc CFA en 2005, en 2011, les mines en production ont rapporté 127,4 milliards à l’Etat ! Et si on dit que cet apport n’est pas suffisant, il faudrait savoir par rapport à quoi il est insuffisant. Parce que cela risque de ne jamais être suffisant.
Donc, c’est ce processus ITIE qui a permis effectivement de pouvoir de pouvoir mesurer cette contribution qui représente l’apport direct des mines au budget de l’Etat sans tenir compte des effets indirects non moins importants. Le deuxième volet de l’ITIE est de dire, une fois que l’on sait ce que les mines rapportent, qu’est-ce que l’Etat fait de cet apport. Je crois que là maintenant, ce n’est plus du côté des sociétés minières, c’est un volet qui relève du gouvernement dans son obligation de rendre compte de l’utilisation des fonds publics. En somme, il y a une bonne dynamique qui est à saluer. Après l’adhésion du Burkina Faso à l’ITIE, nous avons maintenant des cadres par lesquels on génère facilement les statistiques de nos contributions au budget de l’Etat. Cela est un acquis appréciable. Et le processus qui met ensemble autour d’une table les sociétés minières, le gouvernement et la société civile nous semble être une très bonne dynamique, parce ce que c’est vraiment les trois parties prenantes qui doivent discuter pour arriver à un équilibre dans la satisfaction des attentes des uns et des autres.
S : L’exploitation industrielle de l’or est une réalité au Burkina Faso qui n’est pas ressentie dans toutes les régions. Dans le Sud Ouest censé être riche en or, l’exploitation est toujours artisanale. Comment expliquez-vous cette disparité ?
E.J.O. : Là, vous touchez du doigt un problème qui est très sérieux. Nous, mêmes en tant que sociétés industrielles, nous sommes confrontés à cette difficulté. L’orpaillage, je crois que c’est le Ministre des Mines qui le disait, « est un mal nécessaire », parce ce que c’est sporadique. Mais s’il y a l’orpaillage, c’est que il ya de la richesse minière. Les orpailleurs sont nos premiers géologues. Ils ont le flair pour aller trouver les gisements et le plus souvent, ce sont les gisements les plus riches qu’ils exploitent. Donc, ce sont les premiers explorateurs.
Il ne faut pas non plus nier que les premières vagues d’orpaillage sont nées avec la sécheresse, donc les gens vont vers l’orpaillage pour survivre. Et puis, il est quelque part normal que ces populations aient aussi envie de valoriser ces richesses à leur profit. Mais le fait que cela se passe de manière spontanée, voire anarchique, sans contrôle de qui que ce soit, le rend complexe. Sur un site d’orpaillage, du jour au lendemain, il peut se trouver 4 000 à 5 000 personnes. C’est sporadique, ce n’est pas organisé et c’est très difficile à contrôler. Nous aussi, nous pâtissons de l’image de ces activités d’orpaillage. Il y a quelques sociétés qui essayent de les contrôler mais dans la globalité, l’orpaillage est un phénomène qui est très difficile à contrôler et malheureusement, on assiste à l’utilisation dans ces conditions, de produits chimiques extrêmement dangereux tels que le cyanure et le mercure, qui occasionnent non seulement des dégâts sur l’environnement, mais aussi ce sont de véritables fléaux, en termes de santé publique. L’orpaillage est un phénomène qui prend de l’ampleur parce ce que le potentiel minier est important, mais il faut arriver à le contrôler. J’avoue que ce n’est pas facile.
S : L’encadrement des orpailleurs est-il aujourd’hui une priorité pour la Chambre des Mines. Comment comptez-vous organiser ces orpailleurs ?
E.J.O. : Normalement, cela ne relève pas de nos prérogatives. Les orpailleurs sont aussi des exploitants d’un autre genre. Nous nous adressons tous au Ministère des Mines pour avoir les permis d’exploitation. A la Chambre des mines, nous essayons plutôt de voir comment cohabiter avec eux. Nous avons élaboré un contrat type pour que, quand il y a des orpailleurs sur nos permis de recherche, nous voyons comment passer par des sociétés spécialisées dans le domaine de l’orpaillage pour les encadrer. Nous signons des contrats avec ces sociétés parce ce qu’il ne faut pas vouloir interdire l’orpaillage, cela ne servirait à rien et n’aura pas d’effet réel. Il faut plutôt essayer de voir comment on peut mieux l’encadrer, en mettant des conditions pour que l’impact négatif de cet orpaillage sur l’environnement et sur la santé publique soit minimisé au maximum. Il y a environ deux ans de cela que ce type de contrat est en application et nous sommes en train d’évaluer son impact.
S : Des sociétés comme Epsilon dans la région de l’Est connaissent des difficultés notamment avec les populations qui manifestent pour avoir des retombées. Comment ces sociétés minières peuvent-elles satisfaire aux différentes demandes des populations pour que la cohabitation soit pacifique ?
E.J.O. : Comme je l’ai souligné tantôt, il y a pratiquement une antinomie entre le développement de l’orpaillage et le développement des sociétés minière industrielles. Epsilon est une société semi-mécanisée qui a connu un véritable un drame, puisque ses installations ont été saccagées l’année dernière. Parce ce qu’étant une société semi-industrialisée, elle a besoin du gisement pour travailler. Si vous laissez les orpailleurs prendre la meilleure partie, votre investissement ne sert plus à rien. C’est pour rappeler que ces sociétés se sont vues octroyer des permis d’exploitation, conformément à la réglementation ; forcément, ces permis se retrouvent sur des sites. Dans le cas d’Epsilon, c’était un ancien site d’orpaillage. La société a obtenu l’autorisation d’aller vers la semi industrie. Et les orpailleurs se voient en ce moment comme expropriés de leurs activités puisqu’il y a une certaine incompatibilité entre les deux. C’est cela qui crée toute la difficulté. Maintenant, il faut effectivement voir comment à travers le Ministère des Mines, on peut arriver à faire en sorte que le permis d’exploitation qui est donné à la société Epsilon puisse vraiment être mis en œuvre, sans que certaines pratiques ne la gênent. Là, il y a un besoin d’encadrement et de sécurisation de ce site.
S : Quelle est la mission exacte confiée à la Chambre des Mines ?
E.J.O : La Chambre des Mines est apparue comme une nécessité institutionnelle qui accompagne ces développements positifs du secteur minier de notre pays. Cela a été une transformation à l’interne du Groupement professionnel des miniers qui existait depuis 1997 et qui voulait évoluer vers une forme institutionnelle qualitativement supérieure pour mieux défendre l’intérêt de ses membres et promouvoir le secteur. Vous posiez tantôt la question de savoir, est-ce-que le Burkina est un pays minier. Tous ces éléments rentrent dans les caractéristiques d’un pays minier. Les pays que l’on dit miniers comme le Ghana, la Guinée, sont des pays où il y a une Chambre des Mines. Et c’est la Chambre des Mines effectivement qui est porteuse de toute cette dynamique de dialogue avec les parties prenantes, notamment le gouvernement et surtout, celle de promouvoir les meilleures pratiques internationales en matière d’exploitation minière. C’est un chainon institutionnel utile pour se positionner sur cette marche vers le qualificatif de pays minier.
S : Quelles sont les garanties politiques, économiques, sociales et environnementales qu’offre l’exploitation minière au Burkina Faso ?
E.J.O. : Force est de reconnaître qu’aujourd’hui, les paradigmes dominants dans l’exploitation des mines ont changé. On en parle pas assez. Fort heureusement, on ne peut plus faire les mines comme en 1960, même pas comme en 1980 ou 1990. La protection de l’environnement est une préoccupation qui est prise en compte à tous les niveaux, y compris au niveau international. Même nos actionnaires, ceux qui mettent l’argent dans la mine, regardent si les meilleures normes internationales en matière d’environnement sont respectées dans les activités minières. Pour que le Ministère des Mines octroie un permis d’exploitation à un opérateur minier, celui-ci est obligé de déposer une étude d’impact environnemental, qui fait une évaluation minutieuse de l’impact sur la faune, la flore et aussi l’impact socioéconomique. Cette étude d’impact environnemental est appréciée et évaluée par le Ministère de l’Environnement. Croyez-moi, ce n’est pas une partie de plaisir. C’est très rigoureux, très discuté. Il faut poser cela comme l’hypothèse de base : comment minimiser, comment corriger cet impact environnemental ? C’est l’objectif de l’étude d’impact environnemental. Cette étude est réalisée par une société spécialisée qui évalue financièrement cet impact et demande de prévoir déjà l’après mine, quand celle-ci va fermer ; qu’est-ce que cela va coûter à la mine de reconstituer ce site, en fermant les trous et dans certains cas, en les transformant en lieux exploitables. Si l’opérateur minier présente un projet qui a une durée de vie de huit ans, et si l’impact sur l’environnement et la restauration du site à la fermeture de la mine va coûter dix milliards (10) milliards F CFA, dès qu’il commence à produire le moindre gramme, les dix (10) milliards F CFA sont divisés par huit et un montant soumis à l’opérateur est verser pour provisionner chaque année un compte ouvert à la BCEAO dont seul le Ministre en charge des Finances est l’ordonnateur. C’est une précaution visant à s’assurer que quand la mine va fermer, il y aura assez d’argent pour reconstituer le site. Ce compte est ouvert par chaque société en production. Pour le cas de la SEMAFO que je connais bien, nous devons être à trois milliards F CFA au niveau de la BCEAO, après trois années de production pleine. Donc, il y a des garanties et une très grande rigueur dans le suivi de l’impact environnemental des sociétés minières.
S : Il y a tout même des cas de fraude dont on entend sans cesse parler dans le domaine minier. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
E.J.O. : Quand on parle de mines, nous avons les orpailleurs qui écornent notre image. Il est clair que la fraude concerne beaucoup plus l’orpaillage. Les sociétés industrielles sont organisées de telle manière qu’il est difficile de frauder. Le minerai pris dans la carrière, la quantité qui rentre à l’usine, la teneur enregistrée à l’usine, le gramme d’or fondu, tout est enregistré sur ordinateur. Ce sont des statistiques qui sont difficiles à falsifier. Même en tant que président du conseil d’administration de la SEMAFO, je n’ai pas un accès libre à la salle de fusion. Sa gestion est confiée à une société extérieure à la SEMAFO. Toutes les garanties de sécurité sont prises à ce niveau. Personne n’y entre jamais seule. Elle doit être toujours accompagnée. Il y a deux personnes qui possèdent les clés de la salle d’or. Tant que ces deux personnes ne sont pas là, il est impossible d’y pénétrer. Il y a une commission qui assiste à toutes les expéditions de l’or. Elle est composée d’agents du Ministère des Mines, de la douane et de la gendarmerie qui contrôle le colisage. Sans cette commission, l’expédition ne peut avoir lieu. Donc, je ne vois pas comment la fraude peut exister dans le secteur minier industriel. Ca fait partie des idées préconçues dont nous souffrons.
S : Comment la Chambre des Mines entend-elle dissiper cette confusion ?
E.J.O. : Ce n’est que par la communication que nous pouvons dissiper les appréhensions liées aux activités des mines industrielles. Nous avons conscience que l’image des mines est bien galvaudée. Il y a beaucoup de présupposés et de malentendus. Nous en avons conscience et nous pensons que c’est à travers la communication que nous pouvons mieux nous expliquer. Il nous faut donc savoir comment communiquer à travers un bon plan. Le Conseil d’administration de la Chambre des Mines a choisi de faire des sorties sur les sites, au lieu de rester à Ouagadougou dans un hôtel pour ses réunions. Nous sortons avec les journalistes sur les sites pour mieux voir la réalité de près. A chacune de ces sorties, on apprécie la contribution de la société au budget de l’Etat et sa contribution à l’amélioration des conditions de vie des populations locales. On vérifie surtout les dispositions prises au plan environnemental et la gestion des bassins de rejet par la mine. L’utilisation du cyanure est bien maîtrisée par les sociétés minières. Donc on n’a pas peur d’emmener les gens et de leur montrer dans quelles conditions on l’utilise. En plus, un des aspects où la rumeur cause souvent des dégâts, c’est le fait de penser que dès qu’il y a une mine à côté d’un village et qu’un bœuf meurt par exemple, les gens concluent que c’est la mine qui a pollué l’eau. Toutes les mines industrielles en production sont membres de la Chambre des Mines. Celles-ci ont un protocole comportant des pigéomètres. Nous faisons des puits à côté des bassins de rejet et prélevons régulièrement l’eau pour analyse afin de voir s’il n’y a pas de pollution ou de risque de pollution au niveau de la nappe.
S : Un des problèmes au niveau des mines, c’est souvent les conditions de travail même des ouvriers. Plusieurs fois dans la presse, il y a eu des problèmes entre certains employés et leur employeur sur le respect du code du travail. Que répondez-vous à cela ? S’il y a problème, comment comptez-vous le gérer pour ne pas tomber dans le cas de l’Afrique du Sud ?
E.J.O. : Il faut vraiment qu’on stigmatise et qu’on condamne ce qui s’est passé en Afrique du Sud. C’est une tragédie qui, malheureusement, rappelle d’autres époques dans ce pays. L’un des problèmes auquel le Burkina Faso est confronté, c’est d’avoir réussi dans un temps record à mettre en production sept mines alors qu’il n’est pas un pays de tradition minière. Notre administration est d’inspiration française. La France elle-même n’est pas un pays minier. Donc on comprend que l’administration demande un temps d’adaptation des textes pour intégrer les spécificités des mines, parce que le secteur minier a ses réalités. Au niveau de la Chambre des Mines, nous avons instauré un dialogue avec les principales autorités en charge de notre secteur, les Ministères des Mines, des Finances, du Travail et de l’Environnement pour faire en sorte que nous puissions expliquer les spécificités du secteur minier. Le souhait est, à travers des réformes, de les prendre en compte dans notre arsenal administratif et réglementaire. Cela est en cours et dans beaucoup de domaines, nous sommes en discussion. Pour revenir à la question des règles de travail, nous sommes en train de discuter avec les centrales syndicales, les Ministères en charge des Mines et du Travail pour la mise en place d’une convention sectorielle des mines. Cela permettra d’adapter notre code du travail qui ne prend pas suffisamment en compte les spécificités organisationnelles de l’industrie minière. Cela permettrait de résoudre pas mal de problèmes et amener les responsables du secteur minier et les délégués du personnel à avoir le même référentiel. C’est parce qu’on n’a pas le même référentiel, que les problèmes se posent souvent. En Afrique du Sud, il était clairement apparu que dans la branche de la mine où il y a eu la tragédie, il n’y avait aucune convention, donc aucun repère. Quand il n’y a pas de repère, il y a des incompréhensions.
Notre souhait est donc d’aboutir dans les meilleurs délais à la conclusion d’une Convention sectorielle des mines du Burkina Faso avec les partenaires sociaux et le gouvernement.
S : Déjà dans les sociétés minières, une société comme Essakane où les expatriés ont des salaires nettement différents de ce que les nationaux perçoivent. Est-ce que cela ne peut pas véritablement provoquer cette crise que nous voyons en Afrique du Sud ?
E.J.O. : En comparant les salaires des nationaux avec ceux des expatriés, il faut se rendre à l’évidence et tenir compte du fait qu’un expatrié est forcement dans une situation spécifique où il a des primes d’expatriation. Au delà de cela, il faut convenir qu’à qualification égale et expérience égale, les employés d’une même entreprise doivent avoir la même classification.
S : A propos de salaire, il ressort que la crise a gagné le domaine des mines et que des agents seraient sur le point d’être licenciés. Qu’en est-il réellement ?
E.J.O. : Il n’en est rien, c’est une nouvelle que j’apprends ici. Les coûts des métaux se portent plutôt bien. Donc, on ne peut pas dire que les sociétés minières soient vraiment en crise. C’est vrai que la plupart des sociétés minières ont vu leurs actions baisser, sans que l’on ne sache vraiment ce qui se passe. On a l’impression qu’il y a une préférence pour le métal or et mais pas forcement pour la société qui le produit. L’intérêt porte sur l’or même, donc son prix monte. C’est la crise internationale et l’or joue alors son rôle de valeur refuge. C’est ce qui entraine un décalage entre l’appréciation positive de l’or et la valeur des actions des sociétés minières. Je ne pense pas que c’est une crise qui conduit à une restructuration.
S : Aujourd’hui, quel est le prix de l’or sur le marché ?
E.J.O. : L’once était à 1730 dollars hier ! En gramme, cela équivaut entre 25 000 à 27 000 F CFA chez les bijoutiers au Burkina Faso.
S : Quand l’exploitation minière a commencé au Burkina Faso, les femmes ont espérer une baisse du prix de l’or. Elles sont désolées de constater que le prix de l’or ne fait que grimper. Comment doivent-elles contenir cette déception ?
E.J.O. : En tant que premier responsable de SEMAFO, je ne vois pas, moi-même, l’or produit à Mana. Dès qu’il quitte la mine, l’or va directement chez l’affineur pour être transformé en or pur à 99,99%. Cet or ne reste pas ici. Les exploitants qui intéressent ici les femmes, ce sont les orpailleurs qui vendent leur production aux bijoutiers et c’est avec eux qu’on peut acheter l’or sur place.
S : On dit souvent que là où il y a de l’or il y a des problèmes, en témoignent les différentes difficultés qu’on a évoquées tantôt. L’exploitation aurifère ne suscite pas plus de peur que de profit ?
E.J.O. : La malédiction des ressources naturelles ne concerne pas particulièrement l’or. Elle concerne beaucoup plus d’autres ressources que l’or. L’or noir qui est beaucoup plus proche de votre appréciation. Certains pays ont bâti leur développement sur l’industrie minière. Par exemple, c’est le potentiel minier qui a fait de l’Afrique du Sud la puissance économique du continent qu’elle est aujourd’hui. Plus près de nous, on ne peut pas affirmer que le Ghana a eu la malédiction de l’or. Ce pays a aujourd’hui une économie solide. Il vient même de découvrir le pétrole. Espérons qu’il va utiliser la même sagesse de la gestion de l’or pour éviter des malédictions dans ce domaine de l’or noir. Le Canada est un pays qui a bâti son développement principalement sur l’or et l’industrie minière y est principalement dominée par le métal jaune. Ce sont ces modèles qui m’inspirent et me laisse croire qu’au Burkina Faso aussi, nous pouvons réussir.
S : Justement les modèles que vous avez cités, le Ghana, l’Afrique du Sud, sont construits surtout des opérateurs miniers nationaux. Y a-t-il des entrepreneurs burkinabè qui arrivent à avoir ou qui pensent avoir des industries qui vont plus servir au pays en lieu et place des investisseurs étrangers qui semble venir exploiter sans retombées réelles pour le pays ?
E.J.O : C’est une préoccupation réelle. Nous en discutons beaucoup avec le Ministre des Mines et le Ministre des Finances qui sont très intéressés par la question des retombées du secteur minier, comment les optimiser. Nous avons pensé au niveau de la Chambre des Mines qu’il était bon qu’on confie une étude à un cabinet indépendant de réputation incontestable, pour voir quelle est la contribution du secteur minier au développement du pays, comment optimiser cette contribution en tenant compte des intérêts de toutes les parties prenantes. Nous mènerons cette étude pour voir comment se fait le partage des revenus, des bénéfices générés par la mine, est-ce que c’est équitable entre les investisseurs, l’Etat et les populations locales. Donc c’est cette trilogie qu’il faut considérer et faire en sorte que chacun ait le sentiment que le partage du gâteau est équitable. Au niveau de la Chambre des Mines, nous avons intérêt à cela. Les conclusions de cette étude que les différentes parties prenantes se seront appropriées, pourront alors être reflétées dans le code minier et les dispositions fiscales pour garantir l’équilibre dans le partage des revenus miniers. Et nous nous félicitons du fait que le Ministre des Mines et le Ministre des Finances en soit allés dans ce sens. Nous pensons que l’étude se réalisera assez rapidement car l’objectif est d’arriver à faire des mines des pôles de croissance pour les régions où elles existent. Nous allons essayer de voir comment on peut développer des pôles de croissance en sachant que cela ne peut être comme Bagré, parce que la mine a cette spécificité qu’elle s’épuise un jour. Même si cela dure cent ans, il y aura une fin. Il faut donc prendre en compte l’après mine et essayer d’utiliser les mines comme opportunités de développer des pôles régionaux de croissance durable.
S : Il se raconte que là où il y a de l’or, il y a du pétrole et certains voient déjà le Burkina Faso comme un pays pétrolier. Est-ce que vous croyez à cela ?
E.J.O : Cela n’est pas du tout vrai. Géologiquement, ce n’est pas prouvé car l’on trouve l’or dans des formations géologiques où on ne trouve pas de pétrole. Est-ce qu’au Burkina Faso, on aura du pétrole ? Je ne sais pas s’il faut vraiment insister pour aller chercher du pétrole. Développons bien ce qu’on a, consolidons les acquis et ayons une bonne culture de la valorisation de nos mines.
S : Vous avez tantôt évoqué le partenariat gagnant-gagnant entre les sociétés minières, l’Etat et les populations riveraines. Actuellement, il y a un processus de relecture du code minier, quelles sont les attentes de la Chambre des Mines ?
E.J.O. : Comme je vous le disais tantôt, nous avons vraiment intérêt dans cette phase, à mener un dialogue serein, ouvert et franc avec les autorités principalement les Ministres des Mines, de l’Environnement et celui des Finances pour qu’on puisse refléter dans les dispositions du code minier des données factuelles bien argumentées par exemple, les conclusions de l’étude dont je vous parlais. Si l’étude montre que les sociétés minières ne contribuent pas à la hauteur de ce qu’elles devraient faire, il sera facile de dire aux actionnaires que le partage n’est pas équilibré et de leur faire des propositions concrètes pour aller vers cet équilibre souhaité. Mais si c’est déjà assez équilibré, il faudra plutôt qu’on nous accompagne et qu’on ne décourage pas les sociétés qui sont en train de venir. Ce que les actionnaires craignent ou redoutent, ce sont les changements imprévus des conditions d’exploitation. Il faut plus de 250 milliards F CFA en moyenne pour construire une mine. Vous investissez cela avec des conditions qui vous sont données et qui sont consignées dans les conventions minières que l’Etat signe avec la société. Si l’actionnaire a l’impression qu’on peut changer du jour au lendemain ces conditions, il faut comprendre qu’il se dise qu’il y a un gros risque et cela peut affecter les projets en cours. N’oublions pas que nous ne sommes pas encore un pays minier, nous sommes en bonne voie et il y a encore des efforts à faire de part et d’autre : consolidons d’abord le processus !
Nous considérons que dans tous les cas, l’Etat a un pouvoir régalien et il est notre principal partenaire. Nous avons donc intérêt à ce que le Ministre des Mines et celui des Finances ne soient pas en train de douter de notre contribution. S’ils pensent qu’on ne fait pas assez, ils ont tous les moyens et la puissance publique pour aller chercher ce qu’ils pensent qu’ils doivent chercher. Donc autant faire cette étude et dialoguer sincèrement.
S : Dites-nous comment le citoyen ordinaire peut-il suivre les traces de l’argent de l’or destiné au Trésor public ?
E.J.O. : C’est l’objectif de l’ITE, évoqué plus haut, l’Initiative pour la transparence des industries extractives. D’une part les sociétés minières ont l’obligation de déclarer ce qu’elles payent à l’Etat. Pour l’autre part, il faut poser la question à qui de droit. Eux aussi ont l’obligation de dire qu’est ce qu’on en fait. Je crois que ce sont les deux volets.
S : Dans le souci d’une redistribution équitable des ressources issues de l’exploitation de l’or, la société minière SEMAFO a mis en place une fondation. Aujourd’hui, qu’est-ce que cette fondation a pu réaliser concrètement pour la localité de Mana, en particulier et le Burkina, en général ?
E.J.O. : Voila une question qui va nous permettre de parler spécifiquement de la SEMAFO. On ne peut plus gérer les mines comme autrefois. Les promoteurs des mines savent que dans les pays où ils font de l’exploitation, il faut qu’ils aient l’appui de l’Etat et également l’appui des populations riveraines. C’est un problème de bonne marche et de rentabilité même de la mine. Quand vous voyez ce qui se passe dans le Golfe du Bénin, pour les sociétés pétrolières, il est clair que cette société-là a du mal à prospérer durablement. Pour éviter ces genres de situation, il faut que la mine travaille à être en bonne intelligence avec les populations. A SEMAFO, nous nous sommes dit qu’on peut savoir bien exploiter l’or, l’exploiter dans des conditions très rentables sans pour autant savoir faire du développement communautaire. C’est pour cela, qu’il nous est apparu important de confier les problématiques de développement communautaire à une fondation qui est spécialisée dans ce domaine. Nous affectons 2% de nos résultats à la fondation SEMAFO pour qu’elle fasse du développement communautaire dans la zone d’implantation de nos mines. Cette fondation est autonome avec son Conseil d’administration et sa Direction générale. Elle est spécialisée en développement communautaire et en développement durable. La philosophie c’est d’utiliser l’opportunité de la mine qui est une entreprise à durée de vie limitée pour créer une dynamique de développement durable au niveau local. En pensant à l’après mine pour éviter les tragédies qu’on a connues comme celle de Poura. La fondation SEMAFO a réellement commencé ses activités en 2010. A Mana, où certains d’entre vous se sont déjà rendus, ils ont pu constater des réalisations qui sont effectuées par la mine. Les acquis sont importants et nous donnent une entière satisfaction. Il y a des écoles, des CEG, des bibliothèques, des maternités, des dispensaires qui ont été construits et électrifiés. Des forages y sont également érigés. A ces infrastructures, s’ajoutent l’appui aux activités génératrices de revenus. Les femmes en ont été les principales bénéficiaires. Au début des activités, j’y ai été avec la Directrice de la fondation pour faire l’état des lieux. Lorsqu’on veut faire du développement communautaire, et cela je l’ai appris lorsque j’étais au CAPES, il faut d’abord procéder à l’état des lieux des savoirs locaux. Qu’est-ce que les gens savent faire dans leur culture, c’est ce qui doit être identifié. Nous avons réfléchi à cela pendant plus de deux et nous nous sommes rendu compte que les groupements féminins étaient très organisés et en particulier, il y avait une tradition de fabrique du beurre de karité. Cette activité est certes menée très artisanalement mais c’est une tradition bien établie et les femmes étaient déjà organisées autour de cela. La Fondation a choisi de la renforcer en discutant avec elles pour voir comment les soutenir. Aujourd’hui, il y a une superbe savonnerie moderne à Yona qui regroupe plus de 8 000 femmes. Cela leur procure des revenus. Quand on établit une comparaison entre la situation d’avant et d’aujourd’hui de ces femmes, la satisfaction, de voir que leurs conditions de vie se sont nettement améliorées, est unanime. Cette savonnerie alimente notre base vie à Mana. Les travailleurs n’achètent du savon nulle part ailleurs que ceux de cette savonnerie qui, du reste, sont aussi vendus au Canada. Les responsables du groupement ont effectué un voyage au Canada où elles ont signé un contrat avec un partenaire canadien. Le succès est formidable. Nous avons enregistré récemment une commande de cinq tonnes de beurre de karité de la Corée du Sud. Le deuxième projet-phare, c’est le sésame. Ce volet est exécuté avec la Commission des Nations unies pour les produits de base. C’est un projet qui porte sur quatre millions de dollars soit à peu près deux milliards F CFA. Ce projet va au-delà des environs immédiats de la mine parce que dans la région NDLR : Boucle du Mouhoun), on a également vu que les populations étaient traditionnellement portés sur la culture du sésame. C’est une des filières agricoles les plus rentables actuellement. Les superficies emblavées cette année sont très importantes. Dieu merci, la pluviométrie a été bonne et les récoltes abondantes. A terme, l’ambition autour de ce projet sésame est de construire une usine de fabrique d’huile de sésame à Bobo-Dioulasso pour susciter plus de valeur ajoutée. Là encore, ce sont les femmes qui sont aux premiers plans comme d’habitude. Maintenant que les hommes voient qu’elles arrivent à avoir des revenus, ils veulent également se mettre dans la danse. Il y a d’autres activités de la Fondation qui sont menées dans le cadre de l’amélioration des conditions de vie des populations. Par exemple, nous avons décidé de lotir la cité minière de Wona. Pour avoir tiré les leçons de Poura, nous n’avons pas voulu lotir Wona seul où se trouve l’usine. Bana et Kona sont pris en compte dans l’opération. Ces lotissements permettront l’électrification et l’alimentation en eau des zones concernées par la Sonabel et l’Onéa.
S : N’est-ce pas une manière de vous racheter après l’échec de la mine de Poura dont certains n’hésitent pas à vous attribuer une responsabilité dans la fermeture de cette mine. Qu’est-ce qui s’est passé réellement ?
E.J.O. : En même temps que cette question me réjouit parce qu’elle me donne l’occasion de m’expliquer ; elle m’exaspère car c’est une accusation sans fondement. Cela fait mal. Ce jugement ne correspond pas du tout à la réalité. Poura m’a donné mon premier emploi quand je suis rentré de mes études. Avec force, je puis déclarer que c’est Poura qui a fait de moi ce que je suis devenu dans le domaine des mines. En aucun moment, je ne pourrai me tirer moi-même une balle au pied. A la vérité et c’est ce que beaucoup ignorent : Je ne suis pas fonctionnaire de l’Etat ; je suis un contractuel de Poura. Au passage, j’exprime ma gratitude à Pierre Tapsoba, alors administrateur-coordonnateur de Poura, pour m’avoir donné ce premier emploi. C’est lui qui m’a nommé et à l’époque j’étais chargé du suivi des infrastructures à la réouverture de la mine.
S : Alors puisque nous avons l’occasion de découvrir enfin la vérité, dites-nous ce qui s’est réellement passé à Poura pour que la première et unique mine industrielle du pays à l’époque périclite ainsi ?
E.J.O. : Mon témoignage sera succinct pour rétablir la vérité. Il est bon de savoir que Poura est une mine réhabilitée. Elle avait existé pendant la période coloniale. C’était la Société des mines de Poura (SMP) qui produisait déjà de l’or. Elle a même participé à l’effort de guerre pendant la seconde guerre mondiale. Cette réhabilitation a commencé en 1984 avec vingt (20) tonnes d’or de réserves. Selon le plan d’exploitation, la mine devait être exploitée à raison de 2 tonnes par an, donc pour une durée de vie estimée à 10 ans au cas où les réserves ne seraient pas renouvelées. Nous avons commencé l’exploitation en carrière, la mine souterraine devait prendre le relais. En commençant en carrière, c’est la société COFRAMINE, une société française qui gérait la mine : le rythme s’est intensifié dès le départ parce la production était bonne. On a fait 2 tonnes en 1985, puis 3 tonnes à partir de 1986-1987. A ce rythme, la durée de vie de la mine diminue forcément. En 1989, au moment où on avait fini l’exploitation en carrière, et qu’on devait continuer en mine souterraine, les galeries qu’on avait creusées pour accéder à cette mine souterraine se sont effondrées ! C’est là toute la tragédie de Poura ! On avait fini d’exploiter le gisement en carrière et on ne pouvait pas accéder à la mine souterraine parce les galeries se sont effondrées. Il fallait creuser une autre galerie pour y accéder. Ce qui s’est passé, c’est que c’est l’argent qui était prévu pour la recherche qui a été injecté dans le creusement de la nouvelle galerie et nous étions dans une situation très difficile. C’est vraiment grâce à la volonté politique du gouvernement de maintenir les travailleurs en poste que la mine n’a pas été fermée de sitôt. Comme on avait l’espoir de creuser une nouvelle descenderie assez rapidement et de reprendre l’exploitation, mieux valait garder les travailleurs pour assurer la relève des activités. En fin de compte cela s’est traduit par un licenciement de presque la moitié des travailleurs. On est passé de 700 à 300 en 1989. Et c’est à ces moments difficiles que j’ai été nommé en 1990, Directeur général de la mine de Poura. Avec ces difficultés, COFRAMINE, gestionnaire de la mine, est partie. Et je me suis retrouvé avec une équipe exclusivement composée de Burkinabè pour gérer cette mine dans ces difficultés. J’avais en charge la gestion de la mine avec d’autres collaborateurs tels que le directeur de la mine, Cyril Kabré, le directeur de l’usine, Boureima Ouédraogo, le DAF Abel Palm, le directeur de la recherche, Zonou Siaka, etc. Les difficultés étaient telles qu’elles ont conduit à la mise sous administration provisoire de la mine de Poura en 1992. Quand on met une société sous administration provisoire, c‘est que la situation est d’une gravité telle qu’un mandat précis, avec une durée précise, est donné à l’administrateur pour relancer ou pour liquider l’entité. J’étais donc nommé administrateur provisoire, on m’avait donné 4 ans pour me prononcer si la mine devait fermer ou si des solutions viables pouvaient être envisagées. Il était clair, si des solutions ne sont pas trouvées à l’échéance, l’administrateur provisoire est viré et la mine fermée. Et pendant ce temps, le gouvernement a quand même décidé de maintenir les travailleurs, parce qu’on s’est dit qu’on allait tout faire pour trouver un partenaire. Nous avons commencé par taper à la porte de l’Union européenne : le Sysmine est pour les mines, ce que le Stabex est pour l’agriculture. C’est une disposition de l’UE qui indique que quand un pays a une perte de viabilité sur un produit d’exportation minier qui lui est essentielle, l’UE donne une subvention pour aider à rétablir l’équilibre. Le Sysmine venait d’être mis en place et les pays africains étaient éligibles. Nous nous sommes dit que c’est une aubaine, il faut y aller. Nous avons eu la chance, parce qu’à l’époque, l’ambassadeur de l’Union européenne était très engagé pour le Burkina Faso et connaissait bien le problème de la mine de Poura. Il nous a été d’un grand recours pour défendre notre dossier auprès de Bruxelles. L’UE a finalement accepté d’aider le gouvernement burkinabè en lui donnant des subventions pour faire la recherche et trouver de nouvelles réserves mais à la condition de s’associer un partenaire privé. C’était une administration provisoire et c’est l’Etat qui possédait la mine à 100 %, qui était gérée par des Burkinabè. L’UE nous a identifié des consultants, on a fait un appel à concurrence et on a retenu une société canadienne SAHELIENNE, qui était d’accord pour prendre la gestion de la mine en charge. L’UE a apporté son appui financier pour faire la recherche et prouver de nouvelles réserves parce que Poura en était dépourvue et c’est toujours le cas. Je me félicite qu’il y ait un nouveau repreneur de Poura. Le potentiel est énorme à Poura et il faut mener de la recherche pour le confirmer. Donc il y avait de l’argent pour faire la recherche, on avait un partenaire privé et c’est pratiquement quelques trois ou quatre mois après avoir signé la convention avec l’EU et le partenaire que j’ai eu le privilège d’avoir été appelé au gouvernement pour créer ou recréer le Ministère de l’Energie et des Mines qui a connu des aléas dans son existence. J’avais le mandat de créer un Ministère plein de l’Energie et des Mines en 1995. Avec l’appui de l’UE, la société canadienne a pris le relais à Poura. J’ai donc quitté Poura sur une note d’espoir, celle d’une relance de la mine. Mais vous vous souviendrez peut-être du scandale qui a affecté le monde minier dans les années 1998-1999, appelé « BRE-X” qui a entrainé l’effondrement des cours de l’or ? Ce scandale a affecté le monde minier au niveau international. Au moment où on pensait que Poura allait trouver des réserves et repartir, ce fut une véritable catastrophe qui est venue complètement terrasser Poura avec un cours de l’or qui s’était effondré à 258 dollars l’once à l’époque alors qu’aujourd’hui, il est à 1700 dollars soit près de 7 fois plus !
La mine de Poura a été donc fermée dans la catastrophe. Depuis l’éboulement des galeries, tous les schémas de développement qui étaient prévus à Poura ont été complètement bouleversés. Ce n’était pas une fermeture planifiée. Poura doit servir de leçon pour prévoir l’après mine, pour que « plus jamais ça”.
S : Serait-il trop demander aux sociétés minières que de solliciter leur concours pour bitumer les axes qui mènent aux sites d’exploitation ?
E.J.O. : Le bitumage coûte très cher. En réalité, ce n’est pas l’objet des sociétés minières. Souvent, les populations locales nous demandent de nous substituer à l’Etat. Nous n’avons pas cette prérogative. Généralement, c’est par le biais de la coopération multilatérale ou bilatérale que les bitumages d’axes ou les constructions de grosses infrastructures peuvent se réaliser. Je vous le répète, ce sont entre 250 à 300 milliards qu’il faut investir pour ouvrir une mine moyenne. Une route de cent (100) kilomètres bitumée n’est pas une petite somme. Prise sur les résultats de la mine, ses fondamentaux sont déséquilibrés.
S : Les cyclistes avec peu de moyens font de grands résultats. Pourquoi ne soutenez-vous pas cette discipline alors que vous avez soutenu la participation des Etalons à la CAN avec de gros moyens sans résultats ?
E.J.O. : Nous sommes en train de réfléchir sur les modalités de soutien parce que nous sommes très sollicités. Si nous avons soutenu la participation des Etalons à la CAN, c’est parce que nous avons répondu à l’appel du Président du Faso à accompagner le football qui reste quand même le sport-roi. La CAN est un moment extrêmement important pour le continent et plus pour le Burkina Faso quand son équipe est qualifiée. C’est la grande fête de la jeunesse africaine et le football est l’un des rares sports qui a cette magie de permettre à une nation de se trouver derrière le même drapeau et de vibrer à l’unisson ! Il y a tellement de conflits par-ci, par-là en Afrique, que quand il y a un moment où ses habitants peuvent observer une trêve et se retrouver pour fêter le football, il faut y apporter sa contribution. C’est un moyen pour tout le monde, toutes tendances, toutes croyances, toutes franges et toutes obédiences confondues, de se reconnaître à travers des acteurs sur le terrain. C’est extrêmement important. C’est dans un tel esprit que nous avons voulu bien accompagner les Etalons. Ce soutien a été également motivé par le fait que nous venions de nous constituer en Chambre des Mines avec envie de nous faire connaître à travers ce sponsoring.
S : N’est-il pas mieux de soutenir également le championnat national ?
E.J.O. : C’est une position que beaucoup de membres partagent au niveau de la Chambre des Mines. Comme nous ne nous sommes pas encore penchés sur la question, nous allons l’examiner en son temps. Il y a déjà des sociétés comme IAMGOLD qui contribuent au championnat. En fonction des tempéraments, il y a des patrons de mine et d’autres acteurs de l’économie nationale qui sont des fans de football. Il convient de les encourager à y aller.
S : En Côte d’Ivoire, pays voisin, est-ce que Alassane Dramane est réellement l’homme de la situation ? Peut-il vraiment ramener la paix dans ce pays si voisin ?
E.J.O. : Je suis optimiste sur la situation en Côte d’Ivoire qui vit une période de transition. La crise a été très profonde. On ne peut pas s’attendre à ce que la paix revienne aussi rapidement qu’on le souhaite. Mais je pense que le Président Alassane Dramane Ouattara est un homme qui fait preuve de bonnes dispositions. Il est dans la bonne direction à mon avis. Personnellement, je pense que les choses vont dans le bon sens pour ce pays. Il faut souhaiter qu’il y ait la paix des cœurs et que tous ces soubresauts qui sont peut-être inévitables à cette phase-là, s’estompent. On sent que le Président Alassane Dramane Ouattara a la volonté d’amener le pays vers la paix et aussi sur les rails du développement économique. C’est un grand économiste et en raison de tous les postes qu’il a occupés, il en a la capacité et il a surtout un important réseau relationnel et ça compte.
S : Vous êtes optimiste pour la Côte d’Ivoire. Que dites-vous pour le Mali qui n’est pas aussi moins si voisin ?
E.J.O. : C’est plus compliqué pour le Mali. C’est une désagréable surprise qui ne porte pas à l’optimisme. Personne ne s’attendait à cet effondrement au nord du pays. C’est bien dommage pour le Mali qui a montré à certains égards, qu’il a engrangé des acquis dans le cadre du processus démocratique. La situation s’est compliquée par la présence des islamiques radicaux, d’AQMI et des certains groupes aux intérêts inavouables. Ce sont des réalités qui bouleversent effectivement toute la donne et créent des situations difficiles, très compliquées. Surtout que l’embrouillamini politique constaté de jour en jour à Bamako n’augure pas une issue favorable dans les plus brefs délais.
S : Depuis le mois de mai, la France a un nouveau Président de la République François Hollande. Que peut-on attendre de ce monsieur à la tête d’un pays avec lequel notre pays a des relations étroites ?
E.J.O. : Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’à chaque fois qu’il y a un nouveau président en France, les choses vont changer. Si on attend du Président français qu’il vienne changer les choses ici, je pense qu’on ne changera rien du tout. Ce n’est pas le changement d’un Président qui changera fondamentalement les relations qui existent entre la France et les pays d’Afrique dont le Burkina Faso. Comme le Général De Gaulle le disait : « La France n’a pas d’amis, elle a des intérêts ». Il nous appartient aussi de voir où sont nos intérêts.
S : Monsieur le Président, vous êtes également une autorité coutumière. Vous ne vous êtes jamais demandé aujourd’hui où va-t-on avec toutes ces turbulences en Afrique ?
E.J.O. : J’aurais aimé pouvoir prendre toutes ces crises d’un point de vue positif, en me référant au sociologue Karl Marx qui disait : « La violence est l’accoucheuse de toute vieille civilisation en travail ». C’est-à-dire que j’ose espérer que ce sont des crises fondatrices. On a connu des turbulences dans d’autres espaces du monde, par exemple l’Asie du Sud- Est qui était à un moment donné, une très grande zone de remous de tout genre. Aujourd’hui, ce sont des dragons qui s’y tiennent. On peut souhaiter et espérer qu’en Afrique aussi, ce soit des crises fondatrices et dès qu’elles se seraient passées, on aura à s’occuper du développement. Et que cela créera des conditions de stabilité sociale durable qui permettront vraiment de s’occuper des vrais problèmes de développement qui sont certainement le souci principal des responsables en Afrique.
S : Vous êtes chef coutumier, mais vous avez également d’énormes responsabilités dans le secteur minier. Comment arrivez-vous à concilier vos occupations professionnelles et vos obligations coutumières ?
E.J.O. : Je me suis obligé à développer la culture de la synthèse et de la délégation. C’est-à-dire qu’il faut savoir aller à l’essentiel des dossiers et aussi déléguer. La délégation suppose la confiance qui n’exclut pas le contrôle, donc charge à cette personne d’avoir l’obligation de vous rendre compte. C’est ce qui permet de mieux appréhender l’essentiel des problèmes et de maintenir les orientations que l’on s’est fixées.
S : Dans la course au trône à Gourcy, il y avait d’autres candidats et non des moindres parmi lesquels le beau-père du frère cadet du Président du Faso. Certains pensent même que vous auriez refusé si vous n’étiez pas obligé. Comment êtes- vous devenu Naaba Bãoogo ?
E.J.O. : Comme d’autres, je suis une certaine expression de mon époque. Il est arrivé avec le temps que dans les familles royales, des responsables à un certain niveau deviennent éligibles à la chefferie traditionnelle. Cela se voit et cela se verra de plus en plus. C’est une évolution du temps qui fait qu’on est amené à répondre au devoir parce qu’il y a des moments où il y a des devoirs auxquels on ne peut se soustraire. Par la grâce de Dieu et de la volonté de sa Majesté le Naaba Kiiba, le roi du Yatenga, qui nomme le chef de Gourcy, je suis devenu chef coutumier.
S : On dit le plus souvent qu’un chef coutumier possède des connaissances occultes. C’est bien votre cas ?
E.J.O. : En toute modestie, je suis encore dans le rituel d’habitation de la fonction, même si un chef est un chef. Je ne m’autorise pas pour l’instant d’envoyer des missiles à qui que ce soit. (Rires).
S : Qui est Elie Justin Ouédraogo ?
E.J.O. : En bon moaga, il est difficile de parler de soi-même. Je vais vous renvoyer à mon curriculum vitae.
S : Avez-vous assez de temps pour des loisirs ?
E.J.O. : Je pratique le tennis. Pour ce faire, je suis un fan de Roger Federer.
S : Pourquoi dit-on que Gourcy est la capitale du Yatenga ?
E.J.O. : C’est la capitale historique du Yatenga parce que c‘est là que Naaba Yadéga a fondé son royaume qui porte son nom Yatenga « Yadg Tenga ». Son mausolée et les fétiches du royaume s’y trouvent. Quand le Mogho Naaba, le vendredi, monte sur son cheval pour le « faux départ », c’est pour aller chercher les fétiches à Gourcy. Et c’est pour cela aussi que le roi du Yatenga se fait introniser à Gourcy et ne revient plus jamais à Gourcy.
S : Pourquoi avoir opté pour un site Internet www.naabaoogo-gourcy.net dans lequel vous essayez de valoriser les coutumes, alors que cette fonction relève sacré ?
E.J.O. : Il faut ôter de la chefferie traditionnelle l’image d’occultisme qu’on lui colle pour qu’on ne voie pas les chefs coutumiers comme de simples fétichistes. La chefferie coutumière est d’essence politique au sens étymologique du terme. Avant l’arrivée du colon, ce sont les chefs coutumiers qui géraient la cité. Le chef coutumier doit être aujourd’hui ouvert à son temps. De plus en plus, avec le temps, par la force des choses, les chefferies coutumières qui sont assurées par des intellectuels vont faire leur mutation. Il y a une dynamique positive qui va forcément se faire d’elle-même et qui va permettre, effectivement avec la constitutionnalisation de la chefferie traditionnelle de jouer un rôle politique sans être de « politique politicienne ». Mais en s’investissant dans une politique de cohésion, de rassemblement et de référentiel culturel pouvant participer à la régulation, à la paix et à la cohésion sociale.
S : Avez-vous renoncé à faire de la politique politicienne ?
E.J.O. : La politique politicienne n’a jamais été mon domaine. Je ne m’y suis jamais adonné. (Rires).
S : Que pensez-vous de l’entendement selon lequel la chefferie coutumière doit se mettre à l’écart de la politique ?
E.J.O. : Tant qu’on n’aura pas défini clairement le statut de la chefferie coutumière et son rôle, on ne peut pas faire un procès aux chefs qui font de la politique parce qu’une fois de plus, la chefferie coutumière est d’essence politique. Ce qu’il faut regretter, c’est le fait que jusque-là, il y ait une espèce de confrontation entre les structures de l’Etat moderne, hérité de la colonisation et le mode sociétal d’organisation et du vécu politique qui était assumé par la chefferie traditionnelle. J’ai le décret N°189/PRES/IN du 8 juin 1962 qui est très édifiant sur ce conflit et qui stipulait que : Article 1er : « Les chefferies traditionnelles devenues vacantes soit par suite du décès de leur titulaire, soit par la suite d’une mesure administrative, ne sont plus pourvues sous aucune forme que ce soit ». C’est le constat du désir de suppression de la chefferie coutumière parce qu’à l’époque, le Mogho Naaba avait été accusé d’avoir voulu tenter un coup pour instaurer, soit disant, une monarchie républicaine. Cette situation de confrontation est regrettable. On le comprend d’autant plus difficilement que de grandes démocraties comme l’Angleterre, l’Espagne ou le Canada, s’accommodent de leur monarchie. Le Japon est entré dans le monde industriel, en s’enracinant dans sa nipponité. D’ailleurs, les appréhensions de la chefferie coutumière dépendent du type de colonisation que l’on a subi. Plus proche de nous, au Ghana, la colonisation anglaise qui était sous la forme d’indirect rule n’était pas assimilationniste comme la colonisation française. Là-bas, les chefs coutumiers ont joué un rôle qui n’a jamais été remis en cause. Il faut reconnaître le rôle de la chefferie traditionnelle, une fois que ce débat sera mené, on peut voir comment les chefs coutumiers vont se situer par rapport à la politique, parce qu’ils auront un rôle qu’on leur aura défini.
S : Un “bonnet rouge” peut-il faire de la politique de façon vraiment neutre comme le recommande la tradition et trancher un problème social sans parti pris ?
E.J.O. : Une fois de plus, on ne peut pas faire le procès des chefs coutumiers tant qu’on n’aura pas réellement clarifié leur rôle et leur statut. Je suis convaincu que tout chef coutumier aimerait plutôt être un repère, un référentiel et jouer un rôle fédérateur.
S : Quel est votre plat préféré ?
E.J.O. : Le poulet à l’ail.
S : Qu’est- ce que vous appréciez et détestez le plus dans le cadre d’une relation humaine ?
E.J.O. : Dans toute relation humaine, je déteste l’hypocrisie et le mensonge.
S : Qu’est- ce que vous appréciez le plus ?
E.J.O. : L’humilité et le respect réciproque. L’on doit se respecter les uns les autres. Parce que chacun possède en lui quelque chose de positif qu’il peut apporter à l’autre.
S : Quels sont vos beaux et mauvais souvenirs ?
E.J.O. : Les mauvais souvenirs, c’est le décès de mes parents. La mère d’abord, le père ensuite. En ce qui concerne les beaux souvenirs, Dieu merci, j’en ai mais préfère ne pas en citer.
S : Quel est personnellement, le sens que vous donnez au mot mariage ?
E.J.O. : Le mariage, c’est l’une des plus belles institutions sociales qui existe et qui permet une régulation de la société. C’est l’expression et le couronnement d’un amour mutuel. C’est une belle institution qu’il faut préserver.
S : La famille ?
E.J.O. : Le mariage permet, justement, de fonder la famille. Pour moi, la famille, c’est la cellule sociale de base. C’est là que tout se joue et se passe. En pays moaga, on apprécie quelqu’un d’abord par sa capacité à gérer sa famille. Si l’appréciation n’est pas positive, on ne lui confie pas autre chose, parce que s’il ne peut pas gérer sa famille, on ne sait pas comment il pourra l’être au-delà.
S : Derrière un grand homme se cache une grande dame. Quelle a été la contribution de votre épouse dans la construction de votre vie et de votre carrière ?
E.J.O. : La contribution de mon épouse a été déterminante dans ma vie. Pour des raisons professionnelles et souvent de formation, je n’ai pas souvent été à la maison. Elle a eu le mérite de s’occuper du foyer, principalement de l’éducation des enfants et je l’en remercie en leur nom. D’ailleurs, le dicton moaga qui dit que « pag la yiri » (le foyer, c’est la femme) n’est pas un vain mot. L’éducation des enfants repose essentiellement sur la femme. Personne ne peut dire qu’il a réussi si sa grande dame ne lui a pas apporté son soutien.
S : Les enfants ?
E.J.O. : Je vois les enfants comme étant un propre prolongement de soi dans la vie. S’ils ne réussissent pas à partir d’un certain moment, l’on doit soi-même se poser des questions de savoir si on a réussi. L’on est lié à leur réussite parce qu’à un certain moment de sa vie, la réussite des enfants est une source de fierté pour leurs parents et non l’inverse.
S : Quels sont vos rapports avec l’argent ?
E.J.O. : Même si l’argent ne fait pas le bonheur, il ne fait pas non plus le malheur ! On vit dans un monde où l’argent est nécessaire. Il n’est peut être pas suffisant pour tout entreprendre ou tout réaliser. Mais il est nécessaire pour se soigner, s’éduquer. Malheureusement, les relations sociales se sont suffisamment monétisées pour qu’on ait vraiment besoin d’argent sans pour autant tomber dans une déification de l’argent. L’argent est donc nécessaire dans la vie mais il n’est pas assez suffisant pour l’en déterminer.
S : Est-ce qu’on peut dire que vous êtes immensément riche ?
E.J.O. : Vous savez, la notion de richesse est toujours relative. On est toujours plus riche que quelqu’un et quelqu’un est toujours plus riche que soi ! Je ne suis pas propriétaire de SEMAFO (rire) mais un simple gestionnaire de la Société. C’est la SEMAFO qui est peut-être immensément riche et non moi.
S : Quel sens donnez-vous à l’amitié ?
E.J.O. : L’amitié est un lien social très important. Chacun se révèle par son nombre d’amis. Dans la société, on dit qu’il faut se méfier de quelqu’un quand il n’a pas d’amis.
S : Le sens que vous donnez à la politique ?
E.J.O. : Sur cette question, j’invite toujours à revenir souvent au sens étymologique du terme politique : « C’est la gestion de la cité, la bonne gouvernance ». Malheureusement, la compréhension populaire veut quand on dit la politique, l’on y voit les coups bas, la politique politicienne, le machiavélisme. C’est cela qui crée le gros problème. La politique doit être quelque chose de noble où l’on se préoccupe du mieux être et du mieux vivre ensemble, du développement, de l’intérêt commun.
S : Selon vous, n’y a-t-il pas de raison que de penser à la politique politicienne, puisqu’il y a des faits qui le corroborent ?
E.J.O. : C’est devenu une culture qui s’est établie mais on peut travailler au niveau des partis, qu’ils soient de l’opposition ou de la majorité, à ce qu’on ait une autre vision de la politique. Sinon à terme, il faut craindre qu’il y ait une désaffection vis-à-vis de la politique, parce qu’elle est trop politicienne.
S : Le pouvoir ?
EJO : Il faut en user avec modération et avec beaucoup de sagesse. Il faut accomplir ses missions et assumer ses responsabilités comme le roi Salomon. Quand il a été intronisé, il a demandé dans sa prière au Bon Dieu, de lui donner la sagesse d’être à la hauteur de la tâche et de pouvoir s’oublier pour penser aux autres.
La Rédaction
Sidwaya
source site internet des éditions sidwaya